Préparatifs de départ

Aux voyageurs en partance, on offre d'ordinaire : souhaits de bon voyage, colliers de fleurs ou petits souvenirs. Lecteur, je te dois donc une offrande, présent propitiatoire pour une bonne traversée. Je te confie ce poème. Il m'a toujours paru assez inconcevable de le lire sans y rajouter une longue parenthèse chargée de reconnaissance éperdue. C'est un beau cadeau, crois-moi. Mais avant d'en jouir, tu dois évacuer tout bruit importun, fermer les yeux quelques secondes et calmer ta respiration. Le voici:

AUX PARQUES
 
Un seul, un seul été... Faites-m'en don, Toutes-Puissantes !
Un seul automne où le chant en moi vienne à mûrir,
Pour que mon cœur, de ce doux jeu rassasié,
Sache se résigner alors, et meure.
 
L'âme à qui fut déniée, vivante, sa part divine,
Cherche en vain le repos dans la ténèbre de l'Orcus.
Mais qu'un jour cette chose sainte en moi, ce cœur
De mon cœur, le Poème, ait trouvé naissance heureuse:
 
Béni soit ton accueil, ô silence du pays des ombres !
Vers toi je descendrai, les mains sans lyre et l'âme
Pourtant pleine de paix. Une fois, une seule,
J'aurai vécu pareil aux dieux. Et c'est assez.
 
HÖLDERLIN
 
poème datant de la période d’Hypérion (entre 1794 et 1798)
(traduction de Gustave Roud, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard éd.)

Ne te méprends pas, lecteur, cette merveille qui vient de l'étoile Hölderlin  —  une étoile un peu fantasque, lointaine, que je sais repérer là-haut, très haut, en direction de l'Allemagne, dans les ciels constellés de certains soirs d'été  —  ne saurait supporter la moindre comparaison avec les textes qui suivent qui n'ont que la brillance de la luciole en ces mêmes soirées, mais de les avoir placés sous cette épigraphe divine m'a semblé en rehausser légèrement le très modeste éclat.

D.E.

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